PréfaceLiberté ! ce n'est pas d'aujourd'hui que j'en suis le partisan absolu.
A propos d'une question spéciale, j'écrivais en 1862, comme rapporteur de la classe II au jury international de l'Exposition universelle de Londres :
En France, on croit beaucoup trop aux inconvénients de la liberté, et pas assez aux avantages qu'elle peut donner.Avant les élections législatives de 1869, j'écrivais :
Je suis de ceux qui pensent que la France n'a rien à redouter de la liberté ; je désire donc l'extension de toutes celles qui sont compatibles avec l'ordre : liberté individuelle, liberté de la presse, liberté religieuse, liberté commerciale, liberté de réunion.
L'ordre dans la liberté, voilà la base de tous les progrès et de toutes les prospérités.En 1870, au temps des candidatures officielles, lorsque je posai ma candidature au Conseil général dans le département de Seine-et-Marne, j'osai me dire candidat libéral et indépendant.
Qu'entendez-vous par là ? me demandèrent les électeurs dans les réunions électorales où je fus convoqué.
Indépendant ? répondis-je... J'indique par là que je suis libre de tout engagement. Je n'appartiens à aucune coterie. J'approuve ce qui me semble bien, je blâme ce que je trouve être mal, sans me préoccuper des personnes ni des partis.
Libéral ?... Cette qualité me semblerait plus difficile à justifier et je n'oserais même pas en parler, si je n'avais la certitude que la liberté compatible avec l'ordre peut être contenue dans ses limites, et même que sans liberté, il n'y a pas d'ordre possible.Pour contenir la liberté dans ses limites naturelles, hors desquelles elle n'est plus que licence avec le désordre et l'anarchie pour escorte, je ne vois d'autre frein que l'opinion publique.
Comment l'opinion publique peut-elle être modératrice de la liberté ? Tel est le sujet de la brochure que j'écris aujourd'hui, et pour laquelle je réclame à la fois l'attention et la bienveillance de tous mes concitoyens.
Juin 1871
Chapitre VILa suppression des impôts de consommation équivaudrait à une augmentation des salaires.A la session d'avril 1872 du conseil général du département de Seine-et-Marne, j'ai formulé, avec le concours de neuf de mes collègues, le voeu suivant, qui résume tous les arguments que j'ai déjà produits dans les lettres précédentes :
" Les membres soussignés proposent au conseil général d'émettre le voeu suivant :
" Le conseil général du département de Seine-et-Marne, considérant :
" Que l'accroissement anormal du budget occasionné par nos récents désastres exige la création de nouveaux impôts ; que tous ceux qui ont été déjà votés ou qui sont en voie d'être soumis au vote de l'Assemblée aggravent les inconvénients déjà si grands de l'ancien système fiscal qui, en s'adressant à la consommation, atteint et diminue la production agricole et industrielle, entrave les transactions, paralyse l'essor de l'industrie nationale et nuit ainsi au développement de la prospérité publique ;" Que l'impôt sur le revenu, emprunté à l'Angleterre, comportant des mesures vexatoires et inquisitoriales incompatibles avec le caractère français et les institutions du pays, ne peut être établi que sur des présomptions et des déclarations difficiles à contrôler ; qu'il ne répond pas d'ailleurs aux conditions d'un mode de contribution avantageux à l'intérêt général, parce qu'il atteint souvent le produit du travail sous prétexte d'atteindre le revenu des capitaux productifs d'intérêts ; qu'il est pris, en outre, sur l'épargne en formation, et qu'il entrave et retarde l'augmentation de la richesse générale ;" Que l'impôt sur le capital réel, s'il était substitué à tous les impôts actuellement existants, serait l'affranchissement du travail, qu'on doit encouragé, parce qu'il est la source de toute richesse ;" Qu'il répondrait directement et indirectement à l'intérêt bien compris de tous les contribuables ; qu'il stimulerait à la mise en valeur des capitaux de toute nature improductifs jusqu'ici, parce qu'ils sont quasi exempts d'impôts ; qu'il réaliserait, avec la simplification, l'économie dans la perception ; qu'il serait d'un rendement assez considérable, sans gêner les contribuables, pour suffire à nos dépenses ordinaires, à la libération du territoire, au payement des indemnités aux victimes de la guerre, à l'amortissement de la dette publique ;" Emet le voeu :
" Qu'à l'occasion de la discussion de la proposition présentée à la Chambre par les honorables députés : de Carayon-Latour, Philippoteaux, Denfert-Rochereau et les cosignataires, l'Assemblée nationale mette à l'étude le remplacement de tout le système fiscal actuel par un impôt sur le capital réel."
Courbé sur son petit bureau de noyer, M. Le supérieur feuilletait les registres que, debout à son côté, lui présentait M. L'abbé Perruque, préfet des études.
- je vois, dit M. Lantaigne, qu'on a encore découvert cette semaine, dans la chambre d'un élève, une réserve de friandise. De telles infractions se renouvellent trop souvent.
En effet, les séminaristes avaient coutume de cacher des tablettes de chocolat parmi leurs livres d'études. C'est ce qu'ils appelaient la théologie Menier. Ils se réunissaient à deux ou trois pour goûter dans une chambre, la nuit.
M. Lantaigne invita le préfet des études à sévir sans faiblesse.
- ce désordre est redoutable en ce qu'il peut s'y mêler les fautes les plus graves.
Le portail de l'hôtel Boussardel s'ouvrit tout seul à leur approche, des visages attendaient, collés au barreau : la famille inquiète était descendue dans la cour obscure. Jamais Agnès n'eût pu prévoir, couronnant son voyage, ni pareille course ni pareil accueil.
- Mes pauvres chéris ! dit une voie féminine, et l'on ne voyait pas qui parlait. Vous nous avez fait une peur ! C'est ce qui s'appelle rentrer de justesse. Ecoutez : minuit sonne dans la maison... Que vous est-il arrivé ? demanda quelqu'un d'autre.
- On te racontera, répondit Valentin. Ne restons pas là !
Toute la famille monta le perron.
- Du cognac ! disait tante Emma courbée en deux. Un verre de cognac, tant pis pour mon foie !
Après un vestibule d'ombre bleue, aux proportions noyées, et qu'elle ne reconnut pas, Agnès se retrouva dans la salle à manger des grands dîners d'autrefois. Jusque-là, elle n'avait pas eu l'impression de rentrer chez elle. A son arrivée dans l'avenue Van Dyck, l'orgueilleuse silhouette de l'hôtel baignait dans le black-out. Le pavillon du concierge non plus ne s'était pas montré au passage, ni la statue adossée au mur neutre de la cour, ni la marquise en éventail au-dessus du perron : aucun de ces ornements inséparables de ses souvenirs de petite fille et dont elle avait mis si longtemps à découvrir, à concevoir qu'ils n'étaient pas d'un art très sûr. C'était comme si, par ces temps incléments, la vieille maison d'enfance eût perdu ses attributs et ses signes.- [...] tante Emma [...] a fait dresser des lits et des divans dans toutes les pièces. Pour éviter la réquisition de l'hôtel. Le cas échéant, elle dira que nous sommes quinze à habiter la maison et elle montrera les lits. D'ailleurs, avec le couvre-feu, nous couchons beaucoup les uns chez les autres. Tout le monde à Paris fait ça... L'hôtel réquisitionné par les Allemands, tu imagines une chose pareille ? reprit Valentin qui n'y habitait plus depuis son mariage mais qui y était né. Jusqu'ici nous sommes passés au travers.
A l'approche du parc Monceau, elles entendirent un tintement qui venait vers elles à travers le soir.
- Oh ! fit Agnès qui s'arrêta un instant. La cloche du garde...
Elle souriait à ses souvenirs et aux plus lointains. Cela du moins persistait : la cloche du parc Monceau, le soir. C'était l'heure en effet. On allait fermer les portes du jardin public, que les Boussardel appelaient les petites grilles, par opposition aux grilles monumentales de Davioud dressées au seuil des trois avenues privées.
- Prenons par la rue Murillo, dit tante Emma. Rien n'est désobligeant comme de traverser le parc poursuivie par cette cloche et ce cri : "on ferme !"
[...]
Les lueurs du couchant coloraient le carrefour de l'avenue Hoche et de la rue de Courcelles, et sur les grilles qui commandent l'avenue Van Dyck elles allumaient les reflets habituels. Emma leur jeta un regard et marqua un arrêt avant de passer par le guichet de gauche, celui du trottoir de l'hôtel Boussardel.
- Ces vieilles grilles ! fit-elle. Si je te disais...
Elle suspendit sa phrase, le gant posé sur un rinceau d'or oxydé.
- Oui, tante Emma. Je t'écoute.
- Si je te disais que le jour de l'exode, enfin quand nous, nous avons quitté Paris... En caravane. Avec les trois voitures. En y entassant tout ce que nous pouvions, l'argenterie ancienne, les dentelles de ta bonne-maman, les tapisseries que nous avions décrochées, que sais-je ? Tous nos bijoux bien sûr. Et l'or, retiré de la banque...
[...]
- Et tout ça pour quoi ? reprit-elle. Pour que les Allemands nous rejoignent huit jours après aux Blotières, chez nous aussi !... Mon Dieu, quel départ ! Dans le petit jour. Personne n'avait dormi, sauf les enfants. Cette grande maison que nous abandonnions !... Où nous avions tous été si heureux ! s'écria-t-elle avec élan, sans se rendre compte de ce qu'elle disait là devant Agnès, moins de trois ans après leur discorde et la mort violente de Xavier. Moi, en m'enfuyant comme ça, j'avais le coeur déchiré. Je me répétais que nous ne retrouverions rien, qu'il n'en resterait pas pierre sur pierre : on nous l'avait tant dit ! De mes mains j'ai vérifié toutes les fermetures, et puis c'est la grande porte du perron que j'ai verrouillé de l'extérieur. Toute la famille était dans la cour et me regardait faire, alors je n'ai pas osé... Mais en passant sous les grandes grilles, ç'a été plus fort que moi. J'ai prétendu que j'avais oublié quelque chose. Le chauffeur a stoppé ; je suis descendue, et si je te disais... J'ai embrassé le fer forgé, tiens : là où j'ai la main.
Il y avait treize mois, jour pour jour, qu'un dimanche, par un temps radieux, Perrine était arrivée à Maraucourt, misérable et désespérée, se demandant ce qu'il allait advenir d'elle.
Le temps était aussi radieux mais Perrine et le village ne ressemblaient en rien à ce qu'ils étaient l'année précédente.
A la place où elle avait passé la fin de sa journée, assise tristement à la lisière du petit bois qui couronne la colline, tâchant de se rendre compte de ce qu'étaient le village et les usines au-dessous d'elle dans la vallée, se trouvent maintenant des bâtiments en construction ; un hôpital en bon air, en belle vue, qui dominera tout le pays et recevra les ouvriers des usines de M. Vulfran qui habitent ou n'habitent pas Maraucourt.
C'est de là qu'on peut le mieux suivre les transformations de la contrée, et elles sont extraordinaires, eu égard surtout au peu de temps qui s'est écoulé.
Aux usines elles-mêmes il n'a pas été apporté de changement bien sensible : ce qu'elles étaient, elles le sont toujours, comme si, arrivées à leur complet développement, elles n'avaient qu'à continuer la marche régulière de tout ce qui est rigoureusement réglé.
Mais à une courte distance de leur entrée principale, là où autrefois s'effondraient de pauvres bicoques occupées par deux garderies d'enfants du genre de celle de la Tiburce brûlée quelques mois auparavant, se montre le toit flambant rouge et la façade mi-partie rose, mi-partie bleue de la crèche que M. Vulfran a fait construire en achetant pour les raser ces vieilles masures croulantes.
Sa façon de procéder avec leurs propriétaires a été aussi nette que franche : il les a fait venir et leur a expliqué que comme il ne pouvait pas tolérer plus longtemps que les enfants de ses ouvrières fussent exposés à être brûlés ou tués par toutes sortes de maladies résultant des mauvais soins qu'ils trouvaient chez celles qui les gardaient, il allait faire construire une crèche dans laquelle ces enfants seraient reçus, nourris, élevés gratuitement jusqu'à l'âge de trois ans.
[...]
Au centre du village se dressent d'autres toits rouges, beaucoup plus hauts, plus longs, plus imposants : ce sont ceux d'un groupe de bâtiments à peine achevés dans lesquels sont établis des logements séparés, des réfectoires, des restaurants, des cantines, des magasins d'approvisionnement pour les ouvriers célibataires, hommes et femmes ;
[...]
Précédemment se trouvaient là plusieurs vieilles maisons appropriées tant bien que mal, en réalité aussi mal que possible, au logement en chambrée des ouvriers et en cabinets. Il a fait appeler les propriétaires de ces maisons, et leur a tenu un langage à peu près analogue à celui dont il s'est déjà servi :
Depuis longtemps, on se plaint violemment des chambrées dans lesquelles vous couchez mes ouvriers, et c'est aux mauvaises conditions dans lesquelles sont établis ces logements qu'on attribue les maladies de poitrine et la fièvre typhoïde qui tuent tant de monde. Je ne peux pas tolérer cela plus longtemps. J'ai donc résolu de faire construire deux hôtels dans lesquels j'offrirai aux ouvriers célibataires, hommes et femmes, une chambre séparée et exclusive pour trois francs par mois. En même temps j'aménagerai les rez-de-chaussée en réfectoires et en restaurants où je donnerai un dîner composé de soupe, de ragoût ou de rôti, de pain et de cidre pour soixante-dix centimes.
[...]
Sur ces terrains éparpillés un peu partout, on aperçoit d'autres toits en tuiles neuves, tout petits ceux-là, et qui par leur propreté et leur éclat rouge contrastent avec les anciennes toitures couvertes de mousses et sedum : ce sont ceux des maisons ouvrières dont la construction est commencée depuis peu et qui toutes sont ou seront isolées au milieu d'un jardinet, dans lequel pourront se récolter les légumes nécessaires à l'alimentation de la famille, qui, pour cent francs par an de loyer, aura le bien-être matériel et la dignité du chez-soi.Mais d'autres amitiés [...] plaisaient à Perrine, c'étaient celles [...] de Fabry et des ouvriers que M. Vulfran avait fait élire pour composer le conseil de surveillance de ses différentes fondations.[...]
Monsieur Fabry, vous allez aller à Noisiel étudier les maisons ouvrières.
- Monsieur Fabry, vous allez aller en Angleterre étudier le Working men's club Union.
- Monsieur Fabry, vous allez aller en Belgique étudier les cercles ouvriers.
Et Fabry partait, étudiait ce qu'on lui avait indiqué, tout en ne négligeant rien de ce qu'il trouvait intéressant, puis au retour, après de longues discussions avec M. Vulfran, étaient arrêtés les plans qu'exécutaient sous sa direction l'architecte et les conducteurs de travaux
Mais nous ne sommes qu'au commencement, ma chère demoiselle : bâtir des crèches, des maisons ouvrières, des cercles, c'est l'a b c de la question sociale, et ce n'est pas avec cela qu'on la résout ; j'espère que nous pourrons aller plus loin, plus à fond ; nous ne sommes qu'à notre point de départ : vous verrez, vous verrez.
Al. Godillot, Gambier,
Galopeau, Volf-Pleyel,
- O Robinets ! - Menier,
- O Christs ! - Leperdriel !
Les deux grilles chargées d'ornements dorés, qui s'ouvraient sur la cour, étaient chacune flanquées d'une paire de lanternes, en forme d'urnes également couvertes de dorures, et dans lesquelles flambaient de larges flammes de gaz. Entre les deux grilles, le concierge habitait un élégant pavillon, qui rappelait vaguement un petit temple grec.
[...]
La calèche entra et vint s'arrêter devant le perron.
Ce perron, aux marches larges et basses, était abrité par une vaste marquise vitrée, bordée d'un lambrequin à franges et à glands d'or. Les deux étages de l'hôtel s'élevaient sur des offices, dont on apercevait, presque au ras du sol, les soupiraux carrés garnis de vitres dépolies. En haut du perron, la porte du vestibule avançait, flanquée de maigres colonnes prises dans le mur, formant ainsi une sorte d'avant-corps percé à chaque étage d'une baie arrondie, et montant jusqu'au toit, où il se terminait par un delta. De chaque côté, les étages avaient cinq fenêtres, régulièrement alignées sur la façade, entourées d'un simple cadre de pierre. Le toit, mansardé, était taillé carrément, à larges pans presque droits.
Mais du côté jardin, la façade était autrement somptueuse. Un perron royal conduisait à une étroite terrasse qui régnait tout le long du rez-de-chaussée ; la rampe de cette terrasse, dans le style des grilles du Parc Monceau, était encore plus chargée d'or que la marquise et les lanternes de la cour. Puis l'hôtel se dressait, ayant aux angles deux pavillons, deux sortes de tours engagées à demi dans le corps du bâtiment, et qui ménageaient à l'intérieur des pièces rondes. Au milieu, une autre tourelle, plus enfoncée, se renflait légèrement. Les fenêtres, hautes et minces pour les pavillons, espacées davantage et presque carrées sur les parties plates de la façade, avaient, au rez-de-chaussée, des balustres de pierre, et des rampes de fer forgé et doré aux étages supérieurs. C'était un étalage, une profusion, un écrasement de richesses. L'hôtel disparaissait sous les sculptures. Autour des fenêtres, le long des corniches, couraient des enroulements de rameaux et de fleurs ; il y avait des balcons pareils à des corbeilles de verdure, que soutenaient de grandes femmes nues, les hanches tordues, les pointes des seins en avant ; puis çà et là, étaient collés des écussons de fantaisie, des grappes, des roses, toutes les efflorescences possibles de la pierre et du marbre. A mesure que l'oeil montait, l'hôtel fleurissait davantage. Autour du toit, régnait une balustrade sur laquelle étaient posées, de distance en distance, des urnes où des flammes de pierre flambaient. Et là, entre les oeils-de-boeuf des mansardes, qui s'ouvraient dans un fouillis incroyable de fruits et de feuillages, s'épanouissaient les pièces capitales de cette décoration étonnante, les frontons des pavillons, au milieu desquels reparaissaient les grandes femmes nues, jouant avec des pommes, prenant des poses, parmi des poignées de joncs. Le toit, chargé de ces ornements, surmonté encore de galeries de plomb découpées, de deux paratonnerres et de quatre énormes cheminées symétriques, sculptées comme le reste, semblait être le bouquet de ce feu d'artifice architectural.
A droite, se trouvait une vaste serre, scellée au flanc même de l'hôtel, communiquant avec le rez-de-chaussée par la porte-fenêtre d'un salon. Le jardin, qu'une grille basse, masquée par une haie, séparait du parc Monceau, avait une pente assez forte. Trop petit pour l'habitation, si étroit qu'une pelouse et quelques massifs d'arbres verts l'emplissaient, il était simplement comme une butte, comme un socle de verdure, sur lequel se campait fièrement l'hôtel en toilette de gala. A la voir du parc, au-dessus de ce gazon propre, de ces arbustes dont les feuillages vernis luisaient, cette grande bâtisse, neuve encore et toute blafarde, avait la face blême, l'importance riche et sotte d'une parvenue, avec son lourd chapeau d'ardoise, ses rampes dorées, son ruissellement de sculptures. C'étaient une réduction du nouveau Louvre, un des échantillons les plus caractéristiques du style Napoléon III, ce bâtard opulent de tous les styles. Les soirs d'été, lorsque le soleil oblique allumait l'or des rampes sur la façade blanche, les promeneurs du parc s'arrêtaient, regardaient les rideaux de soie rouge drapés aux fenêtres du rez-de-chaussée ; et, au travers des glaces si larges et si claires qu'elles semblaient, comme les glaces des grands magasins modernes, mises là pour étaler au-dehors le faste intérieur, ces familles de petits bourgeois apercevaient des coins de meubles, des bouts d'étoffes, des morceaux de plafonds d'une richesse éclatante, dont la vue les clouait d'admiration et d'envie au beau milieu des allées.
[...]
Les écuries, à bandes de briques rouges, ouvraient à droite, leurs larges portes de chêne bruni, au fond d'un hangar vitré. A gauche, comme pour faire pendant, il y avait, collée au mur de la maison voisine, une niche très ornée, dans laquelle une nappe d'eau coulait perpétuellement d'une coquille que deux Amours tenaient à bras tendus.
[...]
Le vestibule était d'un grand luxe. En entrant, on éprouvait une légère sensation d'étouffement. Les tapis épais qui couvraient le sol et qui montaient les marches, les larges tentures de velours rouge qui masquaient les murs et les portes, alourdissaient l'air d'un silence, d'une senteur tiède de chapelle. Les draperies tombaient de haut, et le plafond, très élevé, était orné de rosaces saillantes, posées sur un treillis de baguettes d'or. L'escalier, dont la double balustrade de marbre blanc avait une rampe de velours rouge, s'ouvrait en deux branches, légèrement tordues, et entre lesquelles se trouvait, au fond, la porte du grand salon. Sur le premier palier, une immense glace tenait tout le mur. En bas, au pied des branches de l'escalier, sur des socles de marbre, deux femmes de bronze doré, nues jusqu'à la ceinture, portaient de grands lampadaires à cinq becs, dont les clartés vives étaient adoucies par des globes de verre dépoli. Et, des deux côtés, s'alignaient d'admirables pots de majolique, dans lesquels fleurissaient des plantes rares.